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Qu’est-ce qui vous enthousiasme actuellement ?
J’observe avec beaucoup d’intérêt, de curiosité et d’excitation les changements qui sont en train de se mettre en place dans le monde du vin. Depuis quelques années maintenant, c’est un constat, les vins changent. Les changements climatiques sont bien réels et produire devient assez compliqué. C’est un combat entre le gel, la grêle, la sècheresse, la précocité et la rapidité des cycles végétatifs de la vigne qui compliquent le travail au niveau de la viticulture. Au niveau de l’élaboration, quand on a des raisins, et qu’on peut vinifier, les degrés qui s’envolent sont a contrario de la demande pour des vins légers. Cela pousse les vignerons et les vigneronnes à rester à la fois très inventifs/ives mais à se pencher aussi sur ce qui a été fait dans le passé et à interpréter ça de la façon la plus moderne possible. Ce goût du vin qui change, c’est un sujet qui m’a à ce point interpellée que j’en ai fait un livre. Cher Pinard est sorti en mars : j’y parle de ces changements de paradigmes, climatiques, sociologiques, philosophiques et même éthiques. La résilience des vignobles et l’ouverture à la diversité seront les sujets incontournables, pour préserver à la fois la nature mais surtout offrir à ce vin qu’on aime une chance d’être toujours produit dans vingt ou trente ans.
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Quelque chose à pointer du doigt dans votre métier ?
Le manque d’ouverture ! Que ce soit d’esprit, au goût, ou aux personnes. Critiques, journalistes, cavistes, sommelier·ères ont tendance à rester dans leurs propres chapelles, aux portes extrêmement bien fermées. J’en parle d’ailleurs dans Cher Pinard, de l’entre-soi que cela provoque: le monde du vin est tellement fermé, qu’il est très difficile d’arriver à le comprendre et à l’aimer parfois. Pourtant le vin est un vecteur extraordinaire d’histoires, et d’Histoire, de culture, de sociologie, de philosophie et même de politique. Et je ne parle même pas de la diversité des goûts et des expériences qu’on peut faire, du plaisir qu’on a à le partager autour d’une bonne table ou simplement dans une soirée avec des ami·es, avec un amoureux ou une amoureuse… C’est quelque chose qui a toujours guidé mon travail, l’accessibilité par la pédagogie et la vulgarisation : c’est infiniment mieux que de rester à tout jamais gardien·ne d’un savoir, mais bien esseulé·e car on ne veut pas que n’importe qui se l’approprie, comme s’il était sacré. Le vin, c’est que du jus de raisin, énormément de boulot, et surtout beaucoup d’histoires qui nous lient les uns et les unes aux autres.
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Un moment d’indignation : envers qui, envers quoi ?
Un long, très long moment pour les violences sexistes et sexuelles qui continuent malgré tout de gangrener le monde du vin, comme la société dans son ensemble. Depuis quelque temps, la parole commence à se libérer, les victimes témoignent. Certaines vont même jusqu’à porter plainte et j’en suis admirative. Je suis baba de leur force, leur courage et l’abnégation qu’il faut pour ces parcours si compliqués : entre les procédures bâillons, les menaces, la pression qui est mise à la fois sur les lanceuses d’alerte et sur les victimes, c’est incroyablement dur. En 2024, être une femme dans le monde du vin et vouloir être respectée, vouloir préserver son intégrité physique et morale sans être mise en danger de façon constante reste une gageure. Pour cela j’engage à suivre le compte Instagram Paye ton Pinard : il s’agit d’une association de femmes du vin qui se battent à la fois pour faire reconnaître le caractère systémique des violences et son continuum mais aussi pour aider au maximum les victimes. C’est important pour elles, mais aussi pour toutes les autres femmes que le silence met en danger. Paye ton Pinard fait aussi un travail de prévention notamment dans les écoles, ou dans des salons de vins. Si vous voulez leur filer un coup de main, les dons et adhésions sont bienvenus.
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Avec qui, avec quoi vous sentez-vous en lien ?
Je me sens en lien avec les femmes de façon générale dans le monde du vin. On partage une expérience commune qui, j’en suis convaincue depuis très longtemps, doit constituer une force plutôt qu’une faiblesse. Pour cela, il est important d’avoir des lieux, des endroits de force et de calme, de sérénité et de lutte politique. S’unir entre femmes – ou de manière plus large entre toutes personnes de communautés opprimées ou marginalisées – est un vrai besoin politique. S’organiser, résister et trouver un moyen d’exister dans le monde du vin en dehors de l’élément genre tout en défendant la non-mixité peut paraître paradoxal mais il s’agit d’espaces temporaires pour une lutte de longue haleine. Je n’utilise pas à dessein le mot “sororité”, car je m’en méfie un peu : il a trop vite été récupéré et vidé d’essence politique, par des “girl bosses” qui portent haut le t-shirt floqué “sororité” mais exploitent et précarisent, ou utilisé pour contraindre des femmes à ne pas confronter publiquement d’autres femmes, y compris et surtout des adversaires politiques. Pour autant, j’aime à penser que c’est grâce à cette communauté de genre, que je suis mieux armée dans la lutte pour l’égalité.
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Qu’est-ce qui titille votre curiosité ?
Je goûte du vin depuis à peu près 20 ans : je suis loin d’en avoir fait le tour ! Je continue d’être émerveillée par le vin et par les émotions qu’il peut véhiculer, mais aussi plus prosaïquement, par ses goûts parfois surprenants. C’est ce dont je parlais plus haut, la manière dont les vignerons et les vigneronnes répondent au changement climatique, notamment en allant chercher des vieux cépages ou des cépages hybrides, joue profondément sur la façon dont ils évoluent dans le verre. On découvre ou on redécouvre des saveurs qu’on avait un petit peu mises de côté : je suis curieuse de voir comment tout ça va évoluer. Et que dire des endroits où on n’aurait jamais imaginé faire du vin et qui se mettent à en proposer… C’est aussi pour ça que, même si je suis caviste et que je connais plutôt bien le vin, j’adore qu’on m’en offre, surtout si je ne le connais pas. Peut-être que je ne l’aurais pas choisi spontanément, et que j’en serai très surprise ! C’est un peu mon moteur : me dire qu’on n’a jamais fini d’apprendre et de découvrir de nouvelles saveurs ou de nouvelles sensations.
![Image of Sandrine Goeyvaerts](https://www.axellemag.be/wp-content/uploads/2024/06/IMG_20240522_113532-200x200.jpg)
D.R.
Originaire de Liège, Sandrine Goeyvaerts a obtenu son diplôme de sommelière en 2003 avant de devenir la première femme à remporter le prix de “meilleur sommelier de Belgique junior”. Après avoir travaillé dans la grande distribution, elle devient caviste en 2010 au sein de la cave Lacroix Vins à Saint-Georges-sur-Meuse. Elle a écrit sur le vin et ses différents aspects dans plusieurs revues et journaux, dont Le Soir, où elle est reconnue pour ses connaissances pointues et son humour acéré. En tant que caviste et sommelière, elle dénonce régulièrement le sexisme dans la profession et prend position contre “les vins de femmes”, supposément plus légers ou sucrés. En 2016, elle lance sur les réseaux sociaux le hashtag #WomenDoWine (“Les femmes font du vin”) pour visibiliser les femmes qui travaillent dans ce secteur. Une action suivie, en 2017, par la création de l’association Women Do Wine, exclusivement composée de femmes, un réseau interprofessionnel d’échanges et d’entraide. Elle a publié plusieurs livres consacrés au milieu vinicole, dont Vigneronnes : 100 femmes qui font la différence dans les vignes de France (Nouriturfu 2019) et Manifeste pour un vin inclusif (Nouriturfu 2021) qui explore les inégalités dans ce milieu. En 2024, paraît chez le même éditeur, Cher Pinard. Un goût de la révolution dans nos canons.
Présentation de Camille Wernaers parue initialement dans notre numéro de juillet-août 2023 et mise à jour pour cette interview.